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Lynch aux manettes de «Mulholland drive»

Le cinéaste peaufine actuellement son nouveau thriller.
Par DIDIER PÉRON

Le mercredi 3 janvier 2001

A l'origine une commande de la chaîne ABC, «Mullholland Drive» devait être un nouveau «Twin Peaks» et faire la nique à «Friends» et «Urgences» de la chaîne concurrente NBC.

En septembre 1999, le New Yorker publie un long article, intitulé «Creative Differences», racontant par le menu comment David Lynch avait tourné pour la chaîne câblée américaine ABC un pilote pour une nouvelle série intitulée Mulholland Drive et comment, après moult divergences et tractations, la chaîne, bien qu'ayant déjà misé 7 millions de dollars, décida de ne pas le diffuser, mettant ainsi un point final au projet. Lynch accusa le coup, à la fois meurtri et furieux, victime de décideurs que le journaliste Tad Friend décrivait comme des trentenaires en costume Gucci et lunettes de soleil, que terrorise toute prise de risque artistique face à l'énorme pression des publicitaires et de l'Audimat.
Rythme jugé trop lent. Mulholland Drive devait être un nouveau Twin Peaks et faire la nique à Friends et à ER (Urgences) sur la chaîne concurrente NBC. Le pitch, deux filles paumées dans Hollywood, dont une, Betty, a perdu la mémoire dans un horrible accident de voiture, avait suscité l'enthousiasme des têtes pensantes d'ABC. Mais quand Lynch se mit à développer le scénario et à multiplier les séquences bizarres, le climat s'assombrit. Des mémos se mirent à circuler avec des questions auxquelles le cinéaste opposa un silence obstiné. Les premières projections devaient confirmer le revirement général, l'incompréhension planait face au décousu de l'action, avec des personnages apparaissant et disparaissant sans aucun lien logique apparent et, surtout, le rythme était jugé est trop lent. Il faut dire que Lynch avait livré une version du pilote de deux heures trente quand ABC en réclamait une d'une heure vingt-huit!

Le 18 mai 1999, un raout au New Amsterdam Theater, à Time Square, rassemble la presse et le staff d'ABC pour le traditionnel show annonçant la nouvelle grille de la rentrée d'automne. Parmi les titres des séries jetés en pâture à l'avidité des médias, plus trace de Mulholland Drive. Lynch, en route pour Cannes, où il montre The Straight Story, déclare: «Il n'en veulent pas, ils l'ont détesté.» L'un des jeunes acteurs du film, Justin Theroux, qui avait refusé au profit du projet Lynch de jouer dans Wasteland, sitcom pour teenagers qui, elle, sera bel et bien mise en chantier, renchérit: «ABC estime que l'Amérique veut Wasteland et pas Mulholland Drive, donc estime que l'Amérique est stupide. La chose la plus triste, c'est qu'elle a probablement raison.»

Bataille juridique. Complètement désemparé, Lynch décide de ranger le pilote dans un tiroir, déclarant qu'on ne le reprendra plus à dealer avec la télévision. Mais le Studio Canal +, ayant vent de cette affaire, en particulier par Pierre Edelman, proche de Lynch depuis leur rencontre au sein de Ciby 2000 (la boîte défunte de Bouygues), décide de convaincre le cinéaste de transformer le pilote TV en long-métrage de cinéma. Une bataille juridique sur l'acquisition des droits du film démarre alors, bataille complexe, puisque trois entités, Disney, Touchstone Pictures et ABC, sont de la partie.

Il faudra un an, des dizaines d'avocats et des «tonnes de fax», dixit Edelman, pour dénouer ce sac d'embrouilles, sans compter encore avec la recherche des décors et des costumes qui s'étaient perdus et les dizaines de comédiens éparpillés dans la nature. Mais, aujourd'hui, tout le monde a l'air très content du résultat quasiment finalisé. Aucune date de sortie n'est annoncée pour le moment, mais le film devrait être prêt pour être présenté aux sélectionneurs du Festival de Cannes.



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«A Hollywood, un polar avec des virages»

Par ELISABETH LEBOVICI
ET DIDIER PÉRON


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Certaines réponses de David Lynch peuvent être écoutées en version audio.


«Je ne suis pas vraiment musicien, bien que je m'y essaie. (...) Mais il y a un truc qui m'intéresse prodigieu-sement, et qui est en train de prendre forme, c'est la possibilité d'une manipulation, en temps réel, de la voix.»
enant de Prague, où il a enregistré avec le fidèle Angelo Badalamenti la bande originale de son nouveau film en cours de finition Mulholland Drive, et avant de repartir monter et sonoriser les dernières séquences chez lui, à Los Angeles, David Lynch était de passage à Paris. Il a accordé en exclusivité à Libération un long entretien, acceptant notamment de lever un bout du voile sur cet opus 2001 qui s'annonce noir, sexuel, chaotique et violent, dans la lignée de Lost Highway.
C'est un entretien un peu bizarre, puisque vous n'avez pas de film à promouvoir...

Pas de film. Oui, c'est fantastique.

On aimerait quand même que vous parliez de Mulholland Drive, en cours d'achèvement.

Ça a commencé par être un pilote pour une série télé. Beaucoup de choses sont amorcées, sans être terminées, c'est ainsi que vous ouvrez des pistes que vous pouvez prolonger; c'est quelque chose de merveilleux, une histoire par épisodes peut contenir tellement de choses, vous pouvez aller partout, c'est précisément la nature d'un pilote que d'être sans fin. Mais, quand même, dans le cahier des charges, on vous demande d'imaginer une fin, c'est du moins l'expérience que j'avais eue de Twin Peaks, où, parce que j'étais forcé de le faire, la fin a finalement déterminé le reste de la série d'une manière considérable. Idem pour Mulholland Drive. Le voyage a été aussi long que sur la route, réelle, de Mulholland à Los Angeles: avec ses tournants, ses errances, c'est une vaste, une longue route, une route mystérieuse, mais tous les films sont ainsi. Ils veulent aller dans un certain sens et on ne sait pas à l'avance les chemins qu'il faudra prendre pour aboutir à leur forme finale

Ecouter la réponse de David Lynch en version audio

Pourquoi la chaîne ABC n'en a-t-elle pas voulu?

La télé a changé depuis Twin Peaks, je ne sais plus ce qui est en jeu: ils regardent du côté des «tendances», des statistiques, toutes sortes de chiffres. Les gens ne prennent plus de décision comme pouvaient le faire les grands producteurs d'autrefois. La peur les gouverne, ils n'utilisent plus leur intuition et il leur est donc plus facile de dire «non» que «oui». Mais, pour moi, c'est une bénédiction: le processus s'est enclenché, Canal + est arrivé, et c'est une belle histoire - même si on a été dans le brouillard pendant un certain temps. C'est presque terminé: je rentre de Prague, où j'étais avec Angelo Badalamenti, et où nous avons enregistré pendant quatre jours une musique fantastique, avec soixante cordes, vingt cuivres. Un son gigantesque.

Avez-vous enregistré des effets sonores comme vous le faites d'habitude?

Oui, nous avions là aussi nos tubes avec des micros glissés à l'intérieur. J'aime le mélange de sons organiques et de manipulations digitales. Mais, d'abord, on enregistre toujours l'orchestre «au propre», sans effets spéciaux; ensuite, on ajoute des distorsions sonores en introduisant les micros dans des tubes. Là, par exemple, nous avons utilisé un énorme récipient de verre, créant une résonance incroyable. Mais tout peut être manipulé en studio, c'est un projet expérimental en continu.

Ecouter la réponse de David Lynch en version audio

Avec quels acteurs avez-vous travaillé?

La plus grande partie du casting est constituée d'inconnus. On a eu beaucoup de chance, ils ont un bon feeling. Ce n'est pas du tout pareil de voir un film où c'est Harrison Ford qui est sur la route.

On peut commencer avec Naomi Watts. Naomi vient d'Australie, elle est blonde, elle est brillante, adorable, une grande actrice. Hmm... Laura Herring, une brune, extrêmement belle et sensuelle. Ce sont les actrices principales. Et puis il y a un acteur de New York, Justin Theroux, et aussi Ann Miller, la partenaire de Fred Astaire dans Easter Parade. Beaucoup de seconds rôles, des gens qui vont et viennent. Par exemple, la chanteuse Rebecca del Rio. Son agent nous avait contactés, elle est passée nous voir à l'heure du petit déjeuner, elle s'est installée dans le studio et a chanté a capella, en espagnol, Crying, une chanson de Roy Orbison. Je lui ai demandé d'être dans le film, elle chante exactement la même chose.

Pour le moment, quelle est la durée du film?

Cinq heures environ (rires). Non, mais plus de deux heures.

Sans tout dévoiler, de quoi parlera Mulholland Drive?

Il s'agit du rêve de Hollywood, l'un de ses aspects du moins. Tant de gens rêvent de Hollywood. En fait, peu importe qu'ils ne s'y rendent pas réellement, restent les rêves et les espoirs. Il s'agit aussi d'une relation entre deux filles différentes. Et d'un polar, avec des virages intéressants. Comme sur la route de Mulholland...

Ecouter la réponse de David Lynch en version audio

Pourquoi cette obsession routière?

Je n'en connais pas toutes les raisons. Comme disait Chet Baker, «let's get lost» («perdons-nous», «cassons- nous»). Une route permet d'aller vers l'inconnu. Nous allons de l'avant, et en même temps nous charrions notre passé, et en même temps nos pensées nous éloignent de la route. Il devient difficile de différencier ce qui est réel de ce qui ne l'est pas... Le film parlera de ça.

Le voyage, c'est aussi le modèle utilisé par Einstein pour expliquer la relativité...

La relativité est une belle chose qui a à voir avec le temps. Les films sont du temps, à travers les séquences qui les composent ils se meuvent dans le temps. Les films sont, en ce sens, comme de la musique.

Le cinéma, pour vous, serait un art de l'oreille plus que de l'œil?

Non. Tout doit fonctionner ensemble. C'est pour cela que je dis qu'un film n'est pas fini tant qu'il n'est pas fini. D'une façon assez étrange, on doit imaginer ce qu'il pourrait être, mais on n'en sait rien tant qu'il n'est pas achevé. On atteint au miracle quand le tout dépasse la somme des parties; c'est la magie du cinéma. Si l'on se focalise sur chaque élément pour les pousser le plus loin possible, alors quand on les met ensemble on peut obtenir cette magie. Le rythme, l'étalonnage des couleurs, c'est si délicat qu'il faut que tout soit complètement poli, affiné, fini, pour être sûr que le film fonctionne.

En fait, le contraire de la peinture, où l'on peut toujours ajouter, voire retirer?

Mais vous pouvez le faire avec le film aussi, d'ailleurs l'ordinateur permet de revenir en arrière. En peinture, si l'on veut défaire quelque chose, il faut détruire; ce n'est que par la destruction et l'expérimentation qu'on peut s'en sortir. Par exemple, en architecture, Frank Lloyd Wright adorait quand sa maison brûlait - je crois qu'elle a brûlé plusieurs fois -, parce que ça lui donnait l'occasion de faire mieux. Les accidents du hasard permettent de s'engager dans de nouvelles voies.

Vous semblez réfléchir beaucoup au spectateur, à la façon dont il va recevoir le film?

Oui. On construit le film avec soi comme unique spectateur, en même temps, on est tous les spectateurs, mais on ne peut pas se leurrer complètement. Alors, on fait venir des gens dans la salle où sont projetés les rushes, et cela peut devenir très douloureux. Le spectateur est l'étape ultime du processus et il est un élément critique, car le film travaille avec l'abstrait et le senti. Il faut que le spectateur puisse s'immerger dans ce monde pour en faire l'expérience de façon parfaite, ce qui voudrait dire, matériellement, des écrans toujours plus grands, plus propres, sans aucun défaut visuel ni sonore, comme une chambre noire qui envelopperait les spectateurs...

N'y a-t-il pas une contradiction entre ce rêve moderne de l'«œuvre d'art totale», où le spectateur s'immerge complètement, et les formes interactives d'aujourd'hui, notamment sur l'Internet?

L'art a toujours été interactif: il y a la musique et l'auditeur, c'est un cercle. Quand vous êtes devant une peinture ou un film, c'est aussi un cercle: vous vous tenez devant, et alors la peinture ou le film commencent à vous faire quelque chose, c'est un aller-retour, un prêté pour un rendu. Lorsqu'on laisse les gens choisir la fin d'un jeu ou d'une histoire, qu'on leur demande d'aller d'un côté ou d'un autre, c'est marrant mais trop facile. Le sentiment d'avoir le contrôle doit être inclus dans l'histoire, certes, mais aussi ce quelque chose dont nous sentons que nous ne tenons pas à le contrôler. Nous voulons êtres poussés vers l'inconnu et vers tout ce qui ferme cette option.

Quid de votre site web davidlynch.com?

Il devrait être lancé en février ou mars prochains. J'ai onze serveurs et une association avec Apple. Une compagnie française, 4D, nous aide pour le commerce en ligne. Tout cela est en cours depuis plusieurs mois. C'est une nouvelle expérience. Par exemple, un jour, je marchais dans mon arrière-cour, j'ai vu un essaim d'abeilles, et avec ma caméra je l'ai filmé pendant des heures pour en tirer un film de cinq minutes... J'espère finir deux séries uniquement pour l'Internet, ainsi que des petits films, et puis, aussi, le forum de discussion traditionnel, de même que le magasin en ligne.

Et votre dessin animé annoncé sur Shockwave.com, Dumbland?

Ils m'ont demandé quarante-cinq minutes d'animation, et j'ai fait quelque chose de très stupide, imbécile et cru; mais ça m'a quand même demandé soixante heures de dessin. C'est prêt, Shockwave est en train de régler des problèmes de droits et d'accès payant.

On vous a refusé une sculpture de vache dans une exposition...

Oui. Il y a une expo qui s'appelle la Cow Parade, 1 200 vaches exhibées à New York, dans des rues, à l'intérieur, etc. Elles sont en fibre de verre, et c'est aux peintres de les colorier. La mienne a été la seule à être refusée: ils étaient offensés par ma vache (qu'il avait décapitée, charcutée et tatouée du slogan «Eat your fear» ndlr).

Quelle forme d'art n'avez-vous pas pratiquée?

Oh, je ne suis pas vraiment musicien, bien que je m'y essaie. Je n'ai jamais chanté, je ne sais pas du tout. Mais il y a un truc qui m'intéresse prodigieusement, et qui est en train de prendre forme, c'est la possibilité d'une manipulation, en temps réel, de la voix. Pas seulement un artifice pour changer la tessiture, mais quelque chose qui change la texture vocale. Imaginez que, dans votre casque, vous revienne une voix méconnaissable, à laquelle vous réagissez immédiatement... C'est beau, non? C'est un peu dur pour l'identité, mais il y a beaucoup de choses, aujourd'hui, qui sont dures pour l'identité.

On parle souvent de vos images ou de vos effets sonores, peu de vos dialogues.

Tout fonctionne de la même façon dans mes films, y compris les dialogues. Ce sont des mots, et les mots sont deux choses à la fois: un sens et du son en interaction. On commence par des répétitions, je suis là et les acteurs sont à des kilomètres. Ce n'est pas pour moi mais pour l'histoire qu'il faut se mettre sur la même longueur d'onde. Alors, on parle, on s'approche. Et puis on fait une seconde répétition. Et l'on parle, et ça continue ainsi, jusqu'à ce que ça fasse tilt dans les têtes et qu'on se trouve ensemble.

Vous qui avez une formation de peintre, vous semblez plus du côté de Jackson Pollock que d'Edward Hopper, auquel vous vous référez pourtant. En d'autres termes, vos films ont plus à voir avec le mythe qu'avec la description sociale, politique ou même esthétique, de l'Amérique.

Il y a toujours plus que ce qu'on voit. Le cinéma peut parler d'abstractions, mieux encore que la musique, parce qu'il a tout pouvoir pour le faire, pour ouvrir à l'esprit les portes de l'abstraction. Même si, aujourd'hui, les films sont du pur spectacle et que c'est bien triste. Pourtant, on peut avoir en même temps de la poésie et du polar.

Est-ce pour cela que vos films sont indatables, qu'ils renvoient à un monde des années 50 et d'aujourd'hui? Comme le mythe, hors du temps?

Je ne sais pas pourquoi certains films voyagent mieux dans le temps que d'autres. Pour moi, il est nécessaire qu'ils soient ancrés dans une situation, qu'ils aient lieu. Si vous prenez Twin Peaks et que vous en déplaciez la situation à New York, évidemment ce sera absurde, mais il n'y aura absolument pas les mêmes sensations en jeu. Un sentiment du lieu et une ambiance, un esprit des lieux, sont essentiels; et également leur effet sur les personnages: on n'a qu'à écouter ces choses, sentir cette humeur, qui dictent votre conduite. C'est essentiel.

On vous demande souvent d'interpréter le sens de vos films, or vous ne pouvez vous y résoudre...

Un jour, j'ai demandé à un psychiatre si une thérapie pouvait affecter ma créativité, il m'a dit: «David, pour être honnête, je dois vous dire que oui, peut-être.» Je lui ai serré la main et je suis parti. Je ne sais pas ce qui est réel, ce qui ne l'est pas, je procède par intuitions et je dis toujours que chacun, confronté à l'abstraction, a droit à ses propres réponses. Vous pouvez aimer un livre sans percer les intentions de l'auteur, l'important, c'est qu'il vous fasse rêver. Le film est un langage pour exprimer des choses qu'on ne peut pas dire, qu'on ne connaît pas. C'est quelque chose qui est en grand danger de se perdre aujourd'hui, on fait des films qui laissent de moins en moins d'espace au songe. Ils sont montés en épingle pour une ou deux semaines avant d'être engloutis et oubliés : cela ne suffit pas à contenir tous les rêves de cinéma.





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