Festival
de Cannes « Mulholland Drive » et Hollywood sur la
Croisette
David
Lynch nous met en boîte
Lynch
mélange « Twin Peaks » et « Lost Highway
». Mais sa « boîte bleue » révèle
l'état du festival à trois jours de la fin.
La
genèse du nouveau film de David Lynch est compliquée.
« Mulholland Drive », du nom d'une longue artère
mythique de Los Angeles, était à l'origine un projet
à la « Twin Peaks », pour une série
télé.
Le pilote fut tourné, mais la compagnie américaine
du petit écran le refusa. Lynch réécrivit,
alors, le scénario et porta sur la grande toile son «
Mulholland Drive » avec l'aide notamment des Français
de Canal +.
L'origine télé se sent. Il y a un parfum de «
Barfly et les vampires », feuilleton cathodique à
succès, dans « Mulholland Drive », mais transformé
en odeur de fleurs fanées, on se refait pas, que Lynch
a acheté à l'inaltérable bo utique «
Le bébé de Rosemary » tenue par Polanski.
Une jeune actrice débutante (Naomi Watts), nunuche comme
un nud rose dans les cheveux de Meg Ryan, arrive à
Hollywood pour y faire des bouts d'essai. Logée chez sa
tante en voyage, elle y découvre une femme fatale (Laura
Helena Harring) qui s'y cache, devenue amnésique après
un terrible accident de voiture. Privée de mémoire,
elle prend la personnalité de Rita Hayworth.
Les damoiselles, attirées physiquement l'une par l'autre,
vont remonter le parcours qui mena Rita à son mal et tomber
sur un cadavre féminin.
L'immense talent de Lynch nous oblige à devenir les détectives
de son histoire et de nos propres pulsions
Pendant ce temps, un jeune metteur en scène à lunettes,
sérieux comme un pape (Lynch caricaturerait-il Wim Wenders
?), se voit imposer une actrice par d'étranges mafiosos.
En une mise en scène à la fois glissante et lourde,
Lynch fascine d'autant plus que son musicien complice, Badalamenti,
est aux claviers.
Des scènes restent inexpliquées et des personnages
abandonnés. Comme ces deux amis dont l'un a rêvé
qu'il mourait sous les yeux de l'autre dans un resto, l'y emmène
et meurt d'une crise cardiaque en voyant un homme déguisé
en gorille. Il y a aussi une magnifique séquence dans un
théâtre où un monsieur Loyal explique que
tout n'est qu'illusion et particulièrement dans ce film
que nous sommes en train de voir.
L'immense talent de Lynch nous oblige à devenir les détectives
de son histoire et de nos propres pulsions.
Vous pouvez interpréter mon film comme vous le voulez,
déclare-t-il. Plus l'abstraction d'une histoire est grande,
plus les interprétations sont vastes. J'offre un univers
clos. Presque « clos » car il y a des fuites sous
forme de « trois petits points » un peu partout...
Donner la clé de mon film serait mépriser le public
qui doit, après la vision, continuer la mise en scène
pour lui-même.
On adhère à ce discours. Il est la force du film.
Comme cette mystérieuse boîte bleue, dont sortent
soudain quelques héros du film devenus minuscules, à
laquelle on rêvera perversement longtemps - mais Buñuel
avait déjà utilisé une boîte un peu
semblable dans « Belle de Jour ».
On adhère moins lorsque Lynch se répète et
rejoue, à la fin, la partition de « Lost Highway
» avec ses personnages qui s'échangent les rôles
ou celle de « Twin Peaks » avec son deus ex machina,
un nain qui doit être le seul à savoir quelle machination
se trame.
Un goût de déjà vu abîme « Mulholland
Drive », qui est aussi une réflexion sur l'aura qu'exerce
Hollywood malgré ses faux-semblants et sa cruauté.
Mais on mord dans le film avec plaisir.·
REPORTAGE
LUC HONOREZ, à Cannes
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