"Mulholland Drive", ses rêves et ses pièges,
le dernier film de David Lynch
CANNES (France), 16 mai (AFP) - Cinéaste de l'étrange
et du fantastique morbide, David Lynch renoue avec une veine qui
lui est chère dans "Mulholland Drive", son dernier
film, présenté mercredi en compétition au 54ème
Festival du film de Cannes.
Au départ, "Mulholland Drive" devait être
une série télévisée dans la lignée
de "Twin Peaks". "Je n'en étais pas très
satisfait, mais ABC qui avait commandé le pilote l'a carrément
détesté", a expliqué Lynch lors d'une
conférence de presse.
Sur les conseils du producteur français Pierre Edelman,
le réalisateur a repris ce matériau pour en faire
une oeuvre où on retrouve les ingrédients de son
art - rêve, cauchemar, fantaisie baroque, passion - dans
la lignée de "Blue Velvet" (1986), "Twin
Peaks, Fire Walk With Me" (1990), et surtout "Lost Highway"
(1996).
La promenade dans l'Amérique rurale d'"Une histoire
vraie"/"The Straight Story" (en compétition
sur la Croisette en 1999) n'aura donc été qu'une
brève parenthèse bucolique dans la carrière
d'un homme, qui, depuis "Eraserhead"/"Labyrinth
Man" (1976), semble ne jamais être aussi heureux que
lorsqu'il est confronté au mystère et à l'indicible.
Et quoi de plus mystérieux qu'Hollywood pour nourrir les
fantasmes.
Par une nuit chaude et noire, une Cadillac roule sur "Mulholland
Drive", qui surplombe la "ville des anges". A son
bord, deux hommes mystérieux et une beauté brune
et fatale (Laura Elena Harring), une comédienne sans doute.
La voiture s'immobilise. La vie de la belle est en danger. Catastrophe
providentielle : une bande d'ados en virée percute la limousine
de plein fouet.
La mystérieuse inconnue s'enfuit et se réfugie
dans une maison. Elle a perdu la mémoire.
Commence alors une enquête pour renouer les fils de cette
vie oubliée. Une jeune et candide apprentie-comédienne,
Betty (Naomi Watts, physique de Tipi Hedren) aide la belle amnésique
à dénouer l'écheveau des souvenirs enfuis.
Sur ce canevas, David Lynch brode un tableau de Hollywood, gratte
sous le vernis du luxe, du glamour et de la volupté. Il
met au jour ce qu'il y a de glauque et de fangeux dans un monde
où le rêve n'est jamais loin du cauchemar, avec des
éclats d'humour et de burlesque.
Enfant du cinéma, Lynch rend hommage au passage à
quelques-uns des classiques qui ont fait son éducation,
ces polars façon "Faucon maltais" de John Huston
ou "Le grand sommeil" de Howard Hawks où l'intrigue
n'était souvent qu'un prétexte pour raconter une
histoire d'amour. La splendide amnésique emprunte ainsi
à une affiche de cinéma le prénom "Rita",
écho de celle qui fut la "Gilda" de King Vidor,
dont elle a la plastique sculpturale et la flamboyante chevelure.
Dans un autre clin d'oeil au cinéma, Justin Theroux incarne
Adam, un metteur en scène dont le physique ressemble à
un mélange de David Lynch et de Wim Wenders jeunes.
Se dessine enfin une réflexion sur la fabrication du cinéma,
ce que Jean-Luc Godard appelle le "commerce cinématographique",
comme dans cette scène où le jeune réalisateur
affronte les diktats de ceux qui ont l'argent, des producteurs
aux allures de mafiosi. "C'est un film sur la perte du rêve",
commente Lynch.
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