Lynch :
«Nous sommes
des détectives»
Après un accident de voiture sur Mulholland Drive, Rita
(Laura Elena Harring) est devenue amnésique. Betty (Naomi
Watts), qui rêve d'être actrice, l'aide à retrouver
la mémoire. David Lynch revisite le mythe hollywoodien
à travers ces deux destins, dans un maelström d'images
fantastiques et fantasmatiques. Entretien.
Propos recueillis par Emmanuèle Frois
Publié le 16 mai 2001, page 30
LE FIGARO. - Avec Une histoire vraie, en 1999, on avait le sentiment
que vous étiez à un tournant de votre carrière
et que vous alliez peut-être suivre une autre route...
David LYNCH. - J'étais en effet à un tournant, et
maintenant je fais un autre genre de cinéma (rires). J'étais
tombé amoureux du script d'Une histoire vraie et des idées
qu'il renfermait. Alors, quand c'est le cas, on y va. L'important
est de rester fidèle à ses idées, de les
suivre, jusqu'au bout.
Comment avez-vous réagi au suicide de Richard Farnsworth,
cet acteur qui en était le merveilleux héros ?
J'en suis toujours autant affecté. Mais je respecte son
choix, il était de la race des vrais cow-boys. Il savait
que sa fin était proche, il n'a pas voulu être un
fardeau, ne pas rester des mois à l'hôpital. Une
grande forme de courage.
Vous dites que Mulholland Drive répond à de nouvelles
envies de cinéma. Mais ce film n'est-il pas de la même
veine que Twin Peaks ?
Non, pas de la même veine. Certains films sont similaires
à d'autres. Mais on établit toujours de nouvelles
règles, de nouveaux sentiments. Evidemment, le processus
passe par la même personne. La machinerie humaine jouant
donc un rôle, il y a parfois des harmonies qui reviennent...
Mulholland Drive était à l'origine un projet de
série télé. Il n'a jamais vu le jour. Que
s'est-il passé ?
Il y a plusieurs années, j'ai proposé le pilote
à une compagnie qui l'a refusé avec une telle véhémence,
une telle détestation, que j'ai abandonné. Mais
il me semble que tout projet trouve finalement un jour ou l'autre
sa forme. Et dans le cas de Mulholland Drive, ce ne devait pas
être un show TV, mais, après de nombreuses circonvolutions
et détours, un long métrage. La nature du pilote
est de donner à voir les prémices d'un sujet, sans
le mener à sa conclusion. Il me fallait donc écrire
une fin. Ce qui est très effrayant et suicidaire. Une nuit,
finalement, des idées excitantes ont surgi, m'indiquant
le chemin à suivre.
Que représente, pour vous, cette route de Mulholland Drive
?
Dans la réalité, elle surplombe Los Angeles. Elle
est très longue, elle part de l'est, serpente les collines
de Santa Monica, et continue sa course vers Malibu. Je n'en connais
même pas la fin. C'est une route pleine de mystères,
d'histoires étranges, de crimes, de romances. Une partie
est restée sauvage, l'autre est résidentielle.
A travers vos deux héroïnes, Rita et Betty, peut-on
dire que vous rendez un hommage à l'âge d'or du cinéma
hollywoodien tout en signant une satire du Hollywood d'aujourd'hui
?
Toutes les interprétations sont possibles! Vous êtes
libre de penser ce que vous voulez. Plus l'abstraction est grande,
plus les interprétations sont vastes. C'est la plus belle
des choses. Ne comptez pas sur moi pour vous en donner la clé
!
Quel est votre point de vue sur Hollywood ?
C'est une ville tellement riche et changeante ! Impossible de
l'exprimer en quelques mots ! Mais je pense que Sunset Boulevard
est le film qui montre le mieux un certain aspect de Hollywood.
Eprouvez-vous une quelconque nostalgie quant au vieil Hollywood
?
Oh ! tellement... Je n'étais pas né, mais je peux
ressentir dans l'air de Los Angeles des bribes de ce passé.
Conduire la nuit, sentir cette brise qui rappelle cet âge
d'or... C'est fantastique. J'aime toutes ces histoires que l'on
raconte sur le système des studios.
Irez-vous un jour faire un tour dans la boîte bleue ?
Le plus tard possible.
Vous en avez peur ?
... (Rires)
Décidément, vous aimez cultiver le mystère
autant dans la vie que dans vos films !
J'adore le mystère, il est partout. Nous sommes comme des
détectives, essayant de trouver des conclusions.
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