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On s'en fout, on n'est pas pressé. Lorsque le vieil Alvin
Straight apprend que son frère Lyle vient d'avoir une attaque,
ni une ni deux, il décide d'aller lui rendre visite, là-bas dans
le Wisconsin. Pourtant, il vit dans l'Iowa, il a 73 ans, il marche
avec deux cannes et son médecin se fait du souci à son sujet.
En plus, Alvin n'a pas le permis et déteste se laisser conduire.
Qu'à cela ne tienne, il ira en tondeuse à gazon. Ça prendra six
semaines, mais après tout, ça fait dix ans qu'ils ne se sont pas
vus, les deux frères. Et à cette allure, il profitera du paysage.
Un film qu'Edward Hopper aurait pu faire.
À ceux que le résumé ci-dessus pourrait rebuter, il faut préciser
que chaque étape du voyage est l'occasion pour Alvin de faire
des rencontres, de raconter par bribes sa vie et l'importance
affective de cette expédition. Mais à vrai dire, même si Richard
Farnsworth compose le plus attachant des grands-pères, ni cette
histoire (authentique, comme le titre l'indique), ni les personnages
croisés au fil de la route ne constituent l'intérêt majeur du
film. La morale en est banale, voire conservatrice, car il est
rare que le 3e âge veuille tout faire péter. Pour
décrire son charme puissant, on ne voit rien de mieux que l'oeuvre
du grand peintre américain Edward Hopper (lire encadré). Comme
Hopper, Lynch (né à Missoula, Montana) s'attache ici à cette
Amérique profonde dont la tranquillité est si peu sereine. À
la beauté des champs de blé, des gens qui regardent devant eux
en pensant au passé, des lumières dans la nuit, d'une nature
qui semble toujours prête à se refermer sur ses enfants.
David Lynch, la beauté des champs de blé? Mais
passé la première surprise, on se rend compte que Blue Velvet
et Twin Peaks regardaient en fait dans la même direction, une
certaine carte postale de la petite ville américaine. Lynch
change simplement de lunettes. Ce n'est plus le trouble et la
perversion qu'il veut dénicher cette fois. Ce serait plutôt
quelque chose à sauver. Lui qui a toujours manié le malaise
et l'angoisse se montre tout aussi habile avec des émotions
plus positives, plus délicates. Il réussit l'exploit de se tenir
toujours à distance de la mièvrerie et du ricanement, pour accomplir
précisément ce qu'il s'est promis - ramener Alvin Straight à
son frère, physiquement et psychologiquement - avec la même
obstination et la même légèreté que son héros.
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