English site
Sommaire
Contact

SECTIONS


Court métrages
Séries & téléfilms
Films
Dvd/K7video/Bof
Publicités
Bande dessinée
Internet
Photos et peintures
Bibliographies
Internet
Liens



     
 
 

Oubliant ses démons, David Lynch s'aère l'esprit. L'odyssée d'un pépé au volant d'une tondeuse à gazon. Un petit film qui fait du bien.


Un virage à 180 degrés. C'est grosso modo l'impression que donne Une histoire vraie par rapport à la filmographie lynchienne. Enfin, façon de parler, car des virages, il y en a peu justement : c'est plutôt la ligne droite qui domine ici. Rien à voir avec les histoires tordues et les cauchemars saccadés auxquels l'auteur nous avait accoutumés. Tout un univers dégénéré qui était presque devenu sa marque de fabrique et dont Lost Highway semblait l'accomplissement paroxystique. A moins de passer au monochrome noir ou à la lobotomie techno, on voit mal comment il aurait pu poursuivre dans cette voie. Manifestement réalisé "contre" Lost Highway, Une histoire vraie met, de fait, la pédale douce sur le désordre mental.

Lynch s'aère la tête avec un road-movie qui ne doit guère dépasser les 10 kilomètres à l'heure. L'engin de locomotion utilisé ? Une tondeuse à gazon ! Car voilà, Alvin Straight, patriarche de 73 ans sapé comme un cow-boy, n'a pas le permis. Or, il veut absolument se rendre chez son frère, gravement malade, pour se réconcilier avec lui. Cabochard invétéré - il ne s'appelle pas pour rien Straight -, il décide de faire le voyage (plus de 500 kilomètres !) tout seul, par ses propres moyens. Accrochée à la tondeuse, une remorque lui servira de garde-manger et d'abri de fortune pour dormir, la nuit venue. Et advienne que pourra !

Une telle histoire, ça ne s'invente pas. Histoire vraie, donc, et édifiante. Cette odyssée farfelue concentre à la fois toute la force d'un amour fraternel et la puissance orgueilleuse d'une foi qui n'a rien de religieux. En enfourchant sa tondeuse, Alvin Straight, mal en point lui aussi, défie sa propre mort en même temps que celle de son frère. Il entreprend ce voyage comme une tentative de sauvetage. C'est le paradoxe troublant et émouvant du film : son sentiment d'urgence dans la lenteur. A l'échelle de ce héros romantique contre nature, la vie défile autrement, et tout est transfiguré. Les dangers : les camions, la météo, un pépin mécanique en pleine descente. Comme les plaisirs : un essaim gracieux de cyclistes, un pont traversé, un feu au bord de la route.

Ciels expansifs, collines tranquilles et champs fertiles. Perché sur sa John Deere (la Ferrari de la tondeuse), Straight parcourt l'univers comme une fourmi travailleuse et solitaire. Tache incongrue et mouvante sur fond de paysages uniformes. Assurément, Lynch filme ici en peintre, cheminant sur les traces d'Edward Hopper. Il renoue aussi avec toute une tradition du cinéma américain : celui des pionniers, du western. Son film sentimental est simple comme bonjour. Trop ? Du sentimental au sentimentalisme, la frontière est parfois mince. La musique, omniprésente, d'Angelo Badalamenti, le compositeur fétiche du cinéaste, en témoigne : tantôt magnifiquement symphonique et aérienne, toute de cordes tendues, tantôt dégoulinant de pianotage mièvre.

Bien sûr, ce film fait du bien. Le même bien qu'un antidote à la vitesse supersonique du monde virtuel d'aujourd'hui, au jeunisme ambiant, au culte de la modernité. Mais pour totalement nous convaincre, peut-être aurait-il fallu que l'on sente davantage le suspense du temps qui passe, la valeur de chaque kilomètre grignoté, le caractère titanesque du geste. Un moment, on est tout surpris et frustré d'apprendre que Straight est parti depuis plusieurs semaines. La faiblesse du film est peut-être là : il devance le personnage plus qu'il ne le suit. Reste le hasard bienveillant de rencontres furtives, bizarres (la dame aux daims), drôles (les jumeaux mécanos) ou chaleureuses. Et la performance de Richard Farnsworth, que tout un chacun rêverait d'avoir comme grand-père. Gueule parcheminée, poil dru et blanc, regard embué... En le cadrant au plus près, Lynch livre une image vivante de la vieillesse, celle du personnage comme celle de l'acteur.

On ne manquera pas de dire qu'il est très difficile de faire aussi simple. Que cette "ligne claire" qui gouverne le film est le fruit d'un travail rigoureux. Malgré tout, malgré surtout l'audace de son changement radical de registre, Une histoire vraie demeure une parenthèse, une aventure en mode mineur. Quand on est un grand cinéaste tel que Lynch, on ne se refait pas aussi facilement. Vivement le prochain gouffre, enrichi à coup sûr de cette douce lumière.

Jacques Morice

Films
  |
Eraserhead
Elephant man
Dune
Blue velvet
Sailor & Lula
Twin peaks : fire walk with me
Lost highway
Une histoire vraie

1976
1980
1984
1986
1990

1992
1995
1999
    |
Articles
Images
 
  Mulholland drive 2001