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Highway retrouvée. Avec ses personnages âgés, sa lenteur tranquille, ses à-plats rupestres, Une Histoire vraie semble nous emmener loin du Lynchland. Mais semble seulement : David Lynch signe en fait un faux film pépère et vrai ovni d'une étrangeté dépouillée.

Comme Lost highway, The Straight story (Une Histoire vraie) est d'abord l'histoire d'une idée fixe. Et de sa lente et difficile réalisation. Que ce soit aussi "une histoire vraie" ­ comme le claironne haut et fort le très imaginatif et très pertinent titre français ­ n'est finalement qu'accessoire. Cinéaste de l'ambivalence, David Lynch sait que la vérité n'est souvent qu'une question de point de vue. Et il a déjà démontré qu'une histoire à la Capra pouvait vite se teinter de Jérôme Bosch (Blue velvet, Twin Peaks), et inversement (Sailor et Lula). Avec The Straight story, Mary Sweeney et John Roach ont apporté à Lynch l'occasion d'un renouvellement en forme d'approfondissement. Alors que Lost highway était une plongée stridente dans le trou noir d'une conscience malheureuse et épousait la forme d'une boucle sans fin à la Möbius, The Straight story se présente comme un film d'une lumineuse simplicité, tellement straight qu'il en oublierait d'être weird. C'est que l'histoire vraie d'Alvin Straight ­ qui a fait plus de 500 kilomètres juché sur sa tondeuse à gazon pour retrouver son frère Lyle avec qui il était fâché depuis des années ­ est suffisamment étrange pour que Lynch n'éprouve pas le besoin d'en rajouter une couche. Comme celle tout aussi vraie de John Merrick, The Elephant man, s'accommodait fort bien du style classique et sentimental qu'avait adopté Lynch pour la traiter. Quand la "vraie vie" lui fournit des anecdotes à mélodrames qu'il n'aurait jamais rêvé inventer, Lynch a le bon goût de laisser sa propre imagerie de côté, celle-ci n'étant qu'une exagération luxuriante et inspirée de ce qu'il devine de secret et tordu derrière les apparences normatives devenues autant de clichés de consommation. Loin des icônes souillées, The Straight story est donc un film sobre et retenu. Mais qui démontre aussi que chez Lynch l'étrangeté ne sort par la porte du fantastique que pour mieux rentrer par la fenêtre du quotidien.

Cette histoire extraordinaire vécue par un homme banal commence et s'achève dans les étoiles. Comme si celles-ci avaient enregistré l'absence de Lyle dans la contemplation céleste d'Alvin et n'avaient de cesse de voir les deux frères à nouveau réunis, leurs quatre yeux pointés vers elles, comme avant, comme quand Caïn et Abel étaient encore amis. Dès la première image, Lynch se place donc dans un registre tendrement cosmique et indique que ce n'est pas seulement la tranquillité d'esprit d'Alvin qui dépend de sa réunion avec Lyle, mais le sort de l'univers tout entier. En bon auteur de mélodrames, Lynch joue de l'agrandissement (le lyrisme des plans généraux sur le paysage) et du rétrécissement (la caméra collée aux bandes jaunes) du champ de l'action, une fois vaste comme le monde, une fois réduit à une portion de route de l'Iowa. Et le film de commencer à la fois comme un hymne aux lois secrètes de l'univers, un "travelogue" pour la salle Pleyel consacré aux moissons du Midwest, un film américain d'autrefois sur l'immobilité forcément un peu trompeuse d'une bourgade perdue, et un "pur film de Lynch". Une fois arrivés à la pelouse trop verte et à la dame trop grosse qui mange des sucreries trop roses, nous sommes en terrain connu, en terrain lynchien. D'autant que la première perturbation (un choc sourd suivi d'un cri vite étouffé) s'entend par la fenêtre mais n'est pas montrée. On se souvient alors de l'oreille coupée du début de Blue velvet. Alvin n'est pas à l'heure au rendez-vous quotidien des petits vieux, cette absence est inquiétante, il lui est arrivé quelque chose. S'ensuit la prise de conscience que l'heure est venue d'entamer le dernier voyage.

Dans toute cette première partie du film, qui va de l'accident d'Alvin à son second départ sur une "nouvelle" machine, Lynch documentariste s'amuse à filmer un ainsi, une littéralité de faits et de gestes minuscules. Sans méchanceté, mais sans complaisance non plus, il enregistre les us et coutumes des indigènes de Laurens, Iowa. Et paraît découvrir qu'il n'a pas besoin d'inventer une "femme à la bûche" ou des bois mystérieux peuplés de hiboux pour tirer son film vers un burlesque angoissant, que les aventures du langage suffisent amplement à mesurer l'étendue des particularismes locaux, baignés de folie douce et d'absurdes quiproquos. C'est d'autant plus amusant que Lynch parsème son observation de signaux de reconnaissance qu'il se garde bien d'activer : les chiens qui traversent la rue n'ont pas de main humaine dans la gueule (Sailor et Lula), le tuyau d'arrosage ne se transforme pas en serpent frappeur (Blue velvet), et le brave concessionnaire John Deere a les traits du Ed Hurley de Twin Peaks (Everett McGill) sans en avoir les soucis. Comme le Savannah d'Eastwood dans Minuit dans le jardin du Bien et du Mal, le Laurens de Lynch est un microcosme clos sur lui-même où l'étrange est tellement bien partagé qu'il n'a plus guère besoin de se manifester. Inutile d'en gratter la croûte ou d'en creuser l'image, c'est un Twin Peaks qui n'a rien à cacher, une nature morte qui se répand au grand jour, une réserve sans pulsions souterraines, une surface plane qui n'en finit pas d'onduler sous la brise sans jamais rien révéler. Ce qui ne signifie pas qu'on n'y souffre pas, comme Rosie privée de ses enfants, et que les puissances telluriques n'y envoient pas leurs impérieux messages, comme quand la lumière d'un éclair vient frapper Alvin au moment de l'annonce de l'attaque cardiaque de Lyle. Mais si Alvin reprend la route, c'est que la guérison est à chercher ailleurs, vers l'état d'enfance.

Entre odyssée du quotidien et épopée de proximité, The Straight story est l'histoire d'un homme qui quitte sa vieillesse figée pour retrouver le représentant de sa petite enfance. Et mourir apaisé. Mais ce voyage au-delà du fleuve est aussi l'occasion pour Lynch de rompre net avec le cinéma dominant à effets voyants pour adolescents décérébrés. Avec un vieillard comme héros, et l'éloge de la lenteur comme constante, le film trouve son rythme et se fait spectacle en fluidifiant ses à-coups. Composé d'innombrables fondus enchaînés, fondus et ouvertures au noir, il ne cesse de varier sans se départir de sa ligne, à l'image de son héros qui opère par petits coups de volant successifs pour tenir sa route. Fait d'envolées soudaines et de surplaces saisissants (la séquence des souvenirs de guerre), de larges plans omniscients où la musique enfle et de caméra subjective (la grange brûlée), The Straight story mérite moins son titre qu'il n'y paraît. Si le vecteur reste le même de bout en bout, Lynch ordonne autour de lui tous les possibles du cinéma, des scènes cathartiques, avec l'auto-stoppeuse enceinte ou les jumeaux mécaniciens, à la seule évocation orale et sonore de souvenirs d'autant plus douloureux qu'ils sont profondément enfouis en passant par un sens de l'observation des êtres humains qui rapproche Lynch d'un Pialat américain idéal. Comme toujours chez Lynch, The Straight story est un film-concept qui se nourrit de sa mise en oeuvre. Et qui s'autorise ainsi les détours les plus incongrus. De ce point de vue, la scène de la "femme aux daims" ­ et ses conséquences immédiates (la viande avalée sous le regard accusateur d'animaux statufiés) ­ est une merveille de décalage, traitée comme telle mais aussitôt engloutie dans la vision d'ensemble. Aussi buté que son héros, et finalement aussi ouvert que lui à la rencontre et à la digression, le film excelle dans le changement d'échelle et de registre, comme si le traitement frontal et linéaire d'un mélodrame qui aurait pu n'être qu'édifiant avait fini de libérer Lynch pour le pousser à toujours plus d'audace.

Frédéric Bonnaud

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